7
Là-dessus, Pop et mon oncle Sagamore s’amènent.
Le docteur Severance se retourne et les aperçoit. Il sort son mouchoir, s’essuie la figure et secoue lentement la tête, comme si vraiment tout ça le dépassait. Il s’assoit sur le tronc d’arbre qu’est à côté du premier chasseur et lâche un long soupir :
— Messieurs, il vient de se passer une chose épouvantable. Je ne trouve pas d’autre mot.
— Qu’est-ce qu’est arrive ? demande Pop.
Le docteur Severance recommence à s’essuyer la figure avec son mouchoir et montre du doigt les chasseurs de lapins, l’un après l’autre, en détournant la tête comme si ça lui était trop pénible de les regarder.
— Morts, il dit, tristement. Morts tous les deux. Et tout ça à cause d’un minable petit lapin de rien du tout.
— Quel malheur, tout de même, dit mon oncle Sagamore. Et comment c’est arrivé au juste ?
— Eh bien ! dit le docteur Severance en respirant un grand coup et en ayant l’air de se remettre un petit peu, j’étais là un peu plus loin sur le sentier, quand j’ai vu ces deux hommes qui se baladaient par là, en train de chercher des lapins. Je m’apprêtais à les appeler pour leur demander s’ils avaient fait bonne chasse, quand tout d’un coup voilà qu’un petit garenne à poil roux déboule de derrière un buisson, juste entre les deux. Et puis, pour je ne sais quelle raison, il change d’idée, fait demi-tour et repasse entre eux deux juste comme ils épaulaient et tiraient. C’est la chose la plus effrayante que j’aie jamais vue. Ils se sont purement et simplement bousillés l’un l’autre.
Mon oncle Sagamore se penche pour regarder de plus près le premier chasseur. Ensuite, il s’avance vers l’autre, le fait rouler un petit coup sur lui-même et l’examine aussi. Après quoi, il revient vers nous, s’accroupit et sort sa carotte de tabac. Il l’essuie sur sa jambe de pantalon, en détache une grosse chique d’un coup de dent et secoue la tête :
— Sacré nom de nom, ça devait être pénible à voir. Les pauvres bougres se sont tirés dans le dos.
Le docteur Severance approuva d’un signe de tête :
— Exactement, et c’est pour ça que c’était si pénible. Ils ont vu venir le coup, les malheureux, mais c’était trop tard. Au moment même où ils appuyaient sur la détente, ils se sont rendu compte de ce qu’ils venaient de faire. Ils se sont retournés pour essayer d’esquiver, mais macache.
Mon oncle Sagamore expédie une giclée de chique dans la nature et s’essuie la bouche d’un revers de main :
— M’est avis que c’est chose pitoyable et cruelle que voir ces gars de la ville venir chasser le garenne dans les bois. Ils sont empotés comme il n’est pas permis. Et dangereux, pas seulement pour les autres, mais pour eux-mêmes ; ils ont des armes à feu entre les mains et ils ne savent même pas s’en servir.
Il s’arrête et regarde le docteur Severance :
— Mais ne prenez pas ça en mal. J’veux pas dire qu’ils sont tous comme ça. J’voudrais pas que vous pensiez que je mets tous les gars de la ville dans le même sac. C’est sans offense, bien entendu.
— Je comprends, dit le docteur Severance. Je comprends.
— Mais tout ça, c’est à côté de la question. J’estime que ce qu’il faut faire maintenant, c’est aviser le shérif que ces deux pauvres bougres se sont occis l’un l’autre, et qu’il les embarque le plus tôt possible ; par cette chaleur, ce serait plus sain.
Le docteur Severance approuve d’un signe de tête :
— Hé ! oui. C’est le moins qu’on puisse faire.
Et puis tout d’un coup, il se ravise, se gratte le menton l’air tout pensif :
— Hum... Messieurs, je viens de me rappeler quelque chose.
Il sort son portefeuille de sa poche de derrière et commence à en tirer des tas de trucs. Moi, je l’observe à travers les feuilles, en me demandant ce qu’il peut bien chercher. Finalement, il en sort un paquet de billets assez gros pour étouffer un cheval et le laisse négligemment tomber sur ses genoux comme s’il s’agissait d’un paquet de vieilles chaussettes, tout en continuant à farfouiller dans le portefeuille.
Pop et mon oncle Sagamore regardent les billets.
— Qu’est-ce que vous cherchez ? demande Pop.
— Oh ! répond le docteur Severance, j’avais là une copie des règlements de la chasse. (Il lève le portefeuille, le secoue, l’écarte pour bien regarder à fond dedans.) J’aurais juré que je l’avais. J’ai dû la laisser dans mon autre complet.
— Les règlements de la chasse ?
— Tout juste, dit le docteur Severance en remettant dans le portefeuille tout ce qu’il en avait sorti, l’argent en dernier. Bien qu’au fond, il importe peu que je l’aie ou non sur moi. Je me souviens parfaitement du règlement, puisque je le lisais pas plus tard qu’hier. Et savez-vous une chose, messieurs ?
— Quoi donc ?
— Et je ne vous le dirais pas si j’en étais pas sûr, mais la chasse aux lapins de garenne est fermée depuis quinze jours.
— Non ! fait mon oncle Sagamore, l’air tout épaté. Pas possible ?
Il réfléchit une minute, puis claque des mains et dit :
— C’est ma foi vrai, nom d’un pétard ! Je me souviens, maintenant ; moi aussi, je l’ai regardé l’autre jour, le règlement.
— Eh ben ! fait Pop, en regardant les deux chasseurs de lapins, ils auraient dû avoir honte, de chasser un lapin comme ça hors saison. Ils ne sont pas autre chose que de vulgaires criminels.
— C’est ce genre d’individus sans vergogne, dit mon oncle Sagamore, qui détruisent les ressources naturelles d’un pays. Il y a de quoi vous fendre le cœur. S’amener ici pour fouiner partout et violer la loi derrière le dos des gens.
Le docteur Severance hoche la tête :
— Exactement. Et en ce qui me concerne, je ne me sens pas le courage d’aller tracasser un pauvre shérif qu’est déjà surchargé de travail, pour une histoire pareille. Il a déjà assez à faire à protéger les citoyens et à pourchasser les criminels vivants.
— On ne peut pas mieux dire, fait mon oncle Sagamore. C’est à cause de ça que leurs sacrés impôts sont si lourds ; tous ces gens qui se déchargent de leurs embêtements sur le dos du gouvernement et s’en vont déranger le shérif pour un oui pour un non. C’est manquer de conscience civile, voilà c’que je dis.
— Tout juste, approuve le docteur Severance. Vous avez mis le doigt dessus. Nous sommes des contribuables, soit. Mais est-ce une raison suffisante pour faire des embarras et exiger du shérif qu’il lâche tout et se cavale jusqu’ici uniquement parce que deux criminels ont été victimes d’un accident alors qu’ils cherchaient délibérément à tuer un pauvre lapin hors de saison. Surtout que je les ai pris sur le fait ! Ça me fait plaisir de rencontrer des citoyens aussi soucieux du bien public et qui voient les choses du même œil que moi.
Mon oncle Sagamore expédie une nouvelle giclée de jus de chique et s’essuie la bouche du revers de la main :
— Eh bien ! docteur, votre opinion me va droit au cœur. Et maintenant qu’est-ce que vous aviez dans l’idée, au juste ?
— Eh bien ! j’me disais qu’avec tout ce terrain inoccupé, par ici, on pourrait leur faire un petit enterrement privé et oublier cette pénible histoire ?
— Excellente idée, dit mon oncle Sagamore. Je m’étonne de ne pas y avoir pensé... (Puis il s’arrête, réfléchit à la question et prend son air hésitant.) Naturellement, ça demanderait pas mal de travail c’t’affaire-là, à piocher et tout le reste, et j’vois pas bien comment Sam et moi on pourrait trouver le temps de s’y mettre, vu qu’avec la récolte, on est pratiquement au labeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
— Oh ! je prendrais volontiers les frais à ma charge, dit le docteur Severance, je me sens en quelque sorte responsable, puisque c’est moi qui les ai découverts. Qu’est-ce que vous diriez de cent dollars ?
— Parfait, dit mon oncle Sagamore, parfait.
Et puis il se ravise brusquement et prend son air affligé :
— Tzzz ! il fait en secouant la tête, c’est dommage. C’est vraiment dommage. J’ai cru une minute qu’on tenait la bonne solution, mais y a pas moyen.
— Et pourquoi donc ?
— Pour des questions personnelles, répond mon oncle Sagamore, l’air un peu gêné. Vous comprenez, cette terre, elle est depuis toujours dans notre famille. En fait, mon père et mon grand-père y sont enterrés. Et, euh... je sais bien que ça paraît un peu bête à dire, mais j’avoue que ça risquerait de me peser sur la conscience de les savoir enterrés là dans la même terre qu’un couple d’individus assez malfaisants pour s’en aller tirer le lapin pendant que la chasse est interdite.
— C’est ma foi vrai, dit le docteur Severance. Ce sont là des scrupules qui vous honorent. (Et tout d’un coup son visage s’éclaire.) Mais admettons que ça vous pèse effectivement sur la conscience par la suite, combien croyez-vous que ça coûterait pour transférer les os de vos parents dans un vrai cimetière ?
— Mon Dieu, dans les cinq cents dollars, je pense.
— Voilà qui me paraît raisonnable, dit le docteur Severance.
Puis il tire quelques billets de son portefeuille, les compte et les tend à oncle Sagamore :
— Six cents en tout.
Qu’est-ce qu’il trimbale comme argent sur lui ! Son portefeuille est tellement bourré que ça se voit même pas, ce qu’il vient d’enlever. Même d’où je suis, je m’en rends compte. Pop et mon oncle Sagamore regardent ce qui reste et se lancent un petit coup d’œil.
— Eh ben ! dit mon oncle Sagamore, en s’apprêtant à se lever, j’ai idée que la question est réglée. (Puis tout d’un coup, il s’arrête, l’air tourmenté, et se rassoit.) Sacré nom de nom, il fait, on allait oublier le principal.
Le docteur Severance le regarde d’un sale œil :
— Quoi encore ?
— Le sermon, répond mon oncle Sagamore. On ne peut pas enterrer un homme comme ça ; même le pécheur le plus endurci a droit à un sermon. Pas question d’envoyer ces deux-là à leur dernière demeure sans l’assistance d’un pasteur. C’est même pas pensable.
— Un pasteur ? Qu’est-ce qu’on a à foutre d’un pasteur dans un enterrement privé ? Et d’abord où est-ce qu’on ira le chercher ?
— Facile, répond mon oncle Sagamore, une sacrée chance qu’on a, faut bien le dire. Mon frère Sam, que voilà, ajustement été ordonné ministre du culte et je crois qu’on pourrait le décider à dire quelques mots.
— Humm... pour une chance, c’en est une. Et combien il prend ?
— Ben, mon Dieu, pour les services ordinaires, cent dollars par tête.
Et le docteur Severance sort son portefeuille encore un coup.
— Toutefois, dans le cas présent, reprend mon oncle Sagamore, vu que ces deux hommes sont morts en état de péché, je dirai même en train de commettre un crime, frère Sam sera peut-être obligé de rajouter quèqu’ fioritures pour les aider à passer la barrière. Quoique, à vrai dire, deux cents dollars par tête devraient en voir le bout.
Le docteur Severance se remet à compter des billets et les lui donne en disant :
— Mes amis, vous perdez votre temps à cultiver la terre ; c’est pénible de voir des gars aussi doués gâcher leurs talents à la cambrousse.
— Vous êtes bien aimable, dit mon oncle Sagamore en se levant. Eh ben ! je crois que mon frère Sam et moi on va pouvoir vous arranger ça. Vous avez dans l’idée d’assister au service ?
Le docteur Severance secoue la tête :
— J’aimerais bien, mais il serait peut-être préférable que j’aille faire un tour jusque sur la grand-route, voir si nos deux chasseurs n’ont pas laissé une voiture quelque part.
— Pas bête, dit mon oncle Sagamore. Histoire de la ramener en ville, ou n’importe où, pour que leurs familles la retrouvent plus aisément.
— Tout juste, dit le docteur Severance.
Là-dessus, il s’en va le long du sentier.
Pop est toujours assis sur la souche d’arbre, en train de tirer sur son cigare. Dès que le docteur Severance est hors de vue, il dit à mon oncle Sagamore :
— Si ces zèbres-là sont de la même bande de chasseurs de lapins que j’ai vus en ville, ils étaient trois.
Mon oncle Sagamore pince les lèvres comme pour cracher une giclée de jus de chique :
— Trois ?
— On devrait lui dire, selon toi ? demande Pop.
— On est toujours mal avisé de se mêler de ce qui vous regarde pas, Sam. S’il ne trouve pas d’auto là-bas, il le saura tout de suite.
— Mais suppose qu’il la trouve ? Il se pourrait que ce soit un de ces deux-là qu’ait les clés.
— C’est quand même pas nos oignons, Sam. On ne tient pas à lui causer du souci, pas vrai ? Un gars qui paie recta et qui s’mêle de ses affaires ? S’il commençait à se tracasser à propos de c’qui est arrivé au troisième, il serait capable de partir. On ne tient pas spécialement à le voir partir, pas vrai ?
Il regarde le paquet de billets qu’il tient toujours à la main, et Pop en fait autant. Mon oncle Sagamore le met dans sa poche.
— T’as raison, dit Pop. Ce serait pas indiqué d’effaroucher un bon client pour des bagatelles pareilles. D’ailleurs il m’a tout l’air de savoir se défendre, le mironton.
— Plutôt ; oui. Pas besoin d’y mettre notre grain de sel, Sam. J’estime que s’il avait besoin de conseils, il se serait pas gêné pour nous les demander. D’ailleurs il a dit que les deux gars chassaient le lapin, pas vrai ?
— Si, dit Pop en se levant. Je ferais bien d’aller chercher deux pelles, tu ne crois pas ?
Mon oncle Sagamore secoue la tête :
— Inutile de se décarcasser pour si peu. A la nuit tombée, on va tout simplement amener la camionnette jusqu’ici, et pour ce qui est du service funèbre, on fera ça chez le vieux Hawkins. Il y a cinq ans que la maison est vide, et que le puits est à sec et sur le point de s’écrouler, de toute manière.
Ils remontent vers la maison et, dès qu’ils ont disparu, je sors à quatre pattes du buisson et je contourne la colline pour les dépasser avant qu’ils arrivent en haut. Je débouche des arbres tout près de la remorque et je vois le docteur Severance et Miss Harrington qui sont justement en train de monter dans l’auto.
Je lui fais signe. Je m’apprêtais à lui demander si elle voulait pas aller nager, et puis je me dis qu’avec l’accident qui vient d’arriver aux deux chasseurs, c’est peut-être pas le moment.
Elle me répond en agitant la main, mais elle a l’air toute pâle. Le docteur Severance ne dit rien. Il démarre tellement sec que les roues patinent dans la poussière. Il a l’air mauvais.
Moi, je monte sur la véranda et je commence à jouer avec Sig Fride et au bout d’un petit moment, Pop et mon oncle Sagamore s’amènent. Naturellement, je ne leur dis pas où j’étais.
— Miss Harrington va bien, j’annonce à Pop.
— Eh ben ! tant mieux.
— Elle vient de partir en voiture avec le docteur Severance.
Pop et mon oncle Sagamore se regardent. Pop sort un cigare de sa poche et l’allume :
— Justement, je voulais te dire... j’aimerais autant que tu cesses de tourner autour de Miss Harrington. L’anémie, ça peut être contagieux.
— Oh ! Pop ! Je l’aime bien, moi. Et puis, d’ailleurs, elle m’apprend à nager.
— Oui, ben, je t’ai prévenu, attention.
Il rentre dans la maison avec mon oncle Sagamore. Moi, je réfléchis à ce qu’il vient de me dire, et au bout d’un petit moment, je vais dans la cour pour lui demander si j’peux tout de même aller nager avec Miss Harrigton vu que maintenant je vais tout seul et qu’elle n’a plus besoin de me tenir, et que l’anémie, ça doit pas s’attraper si on ne vous touche pas, mais ils ne sont là. Je cours jusqu’à la grange, mais ils ne sont pas là non plus. Alors, je me dis qu’ils ont dû aller chercher quelque chose dans les arbres de l’autre côté du champ de maïs. Et puis, tout d’un coup, je me rappelle la place tiède que j’avais trouvée la veille dans le lac, alors j’y retourne, je me déshabille et je rentre dans l’eau. Et zut alors ! ça aussi ça y est plus. Nulle part. Et pourtant, j’avais bien repéré le coin. C’était juste en ligne droite du coin de la véranda et du bout de l’arche à mon oncle Finley en avançant sept à huit pas dans l’eau, de façon à en avoir jusqu’à la ceinture et c’était là. A part que c’est pas là. Maintenant l’eau est partout pareille. C’est drôle, quand même. Je retourne à la berge et, tout en me séchant au soleil, j’y réfléchis, mais j’y comprends rien du tout. La seule chose que ça puisse être, selon moi, c’est un genre de source d’eau tiède qui ne coule pas tout le temps.
Le soir commence à tomber, alors je retourne à la maison. Pop et mon oncle Sagamore sont revenus. Pop coupe des rondelles de saucisse et puis mon oncle Sagamore les fait frire. Ils ne disent rien et ils n’ont pas l’air d’être d’humeur à répondre à des questions, alors je n’en pose pas.
Après souper, Pop annonce qu’il va chercher la camionnette pour transporter les bacs dans les bois ; le cuir a suffisamment séché pour le moment. Et il me dit qu’ils seront peut-être forcés d’aller en ville et de me coucher sans les attendre.
Allongé sous la véranda, dans le noir, j’avais un peu la frousse en repensant à l’accident des chasseurs de lapins, mais j’entendais mon oncle Finley ronfler dans la chambre à côté et j’ai fini par m’endormir.
En me réveillant le lendemain matin, j’avais le soleil en pleine figure et je me suis dit que ça allait être une journée épatante pour la pêche. Sig Fride me léchait le nez et j’entendais Pop et mon oncle Sagamore en train de frire la saucisse pour le petit déjeuner, dans la cuisine. Alors je me suis levé et j’ai coursé Sig Fride jusqu’au lac pour me laver. Et, en revenant, comme j’arrivais à la porte de la cuisine, j’entends mon oncle Sagamore dire à Pop :
— J’ai idée qu’il a dû la trouver et qu’il l’aura conduite dans l’État voisin. Je l’ai entendu rentrer vers les quatre heures, ce matin.
A ce moment, ils m’aperçoivent et se regardent. Mon oncle Sagamore se met à parler de son affaire de cuir.
— C’est à n’y rien comprendre, il dit, en jetant des tranches de saucisse dans la poêle qui grésille. J’ai eu beau faire, suivre les instructions du gouvernement à la lettre, ça n’a tout de même donné que de la soupe. C’est sûrement le climat d’ici qui vaut rien pour la fabrication du cuir, tu crois pas, Sam ?
— Ça se pourrait, dit Pop. A moins que ça ne soit l’eau. En tout cas, on ne peut rien y faire, que de continuer. Pas possible de tout plaquer maintenant.
Après déjeuner, je prends Sig Fride avec moi et je remonte jusqu’à la remorque. Le docteur Severance et Miss Harrington ne sont pas encore levés. Alors je m’en vais à la pêche. Il fait beau comme tout et j’attrape encore de la perche. Dans le courant de l’après-midi, je vois Miss Harrington et le docteur allongés sur leurs chaises longues devant la roulotte et je monte jusque-là, mais Miss Harrington me dit qu’elle a pas envie d’aller nager aujourd’hui.
C’est seulement trois jours plus tard qu’elle se décide à revenir. Et Pop me flanque une tournée quand il l’apprend.
— Je t’avais dit de ne plus t’approcher de Miss Harrington ! Elle est pas en bonne santé, tu pourrais attraper son anémie.
Ce n’est que dix jours plus tard qu’on remet ça, mais en douce, cette fois. Et je vous prie de croire que ça a salement bardé ce jour-là. Mais avant, y a eu ce micmac avec les hommes du shérif qu’a fait un raffut du tonnerre.